Et si on formait (vraiment) les formateurs à la créativité ?
Dans le monde de la formation, on parle souvent de créativité. On la célèbre chez les apprenants, on l’invite dans les projets, on la glisse dans les objectifs pédagogiques. Mais une question reste largement en suspens : et les formateurs ? Qui les forme à être créatifs ?
Quelle est la place de la créativité dans la formation des formateurs ?
Un constat peut être fait : la créativité est là… mais en sourdine.
C’est ce questionnement qu’Amalia Terzidis a choisi d’explorer à travers une enquête menée dans une HEP romande. Une plongée fine dans les pratiques des formateurs d’enseignants, pour mieux comprendre la place – parfois discrète, souvent implicite – que prend la créativité dans la formation initiale. Et le constat est clair : la créativité est bien présente, mais rarement assumée comme telle.
Amalia Teridis a menée une étude en deux temps :
- Un questionnaire adressé à 220 formateurs, dont seulement 37 ont répondu.
- Trois entretiens approfondis avec des formateurs en mathématiques, en français et en éducation physique.
Le faible taux de réponse est déjà un premier indice : manque de temps, sans doute, mais surtout manque de lien perçu entre créativité et formation des enseignants. Un désintérêt révélateur d’une invisibilisation !
Une créativité intuitive, rarement pensée comme un objet de formation
Ce que révèle l’enquête, c’est que la créativité est mobilisée de façon spontanée, souvent sans cadre théorique. Elle reste perçue comme un « plus », une touche personnelle, mais pas comme un savoir à enseigner. Et surtout, elle est encore majoritairement associée à des disciplines artistiques.
Autrement dit : on fait de la créativité sans le savoir.
Trois conceptions-clés, communes malgré les différences disciplinaires
Malgré la diversité des contextes, les formateurs partagent trois visions de ce qu’est la créativité dans l’enseignement :
Sortir du cadre : la créativité, c’est refuser d’appliquer des recettes toutes faites.
Composer avec les ressources : c’est savoir mobiliser ses acquis pour construire du nouveau.
S’adapter à l’imprévu : c’est être capable de réagir avec souplesse et pertinence.
Des compétences essentielles… mais rarement nommées comme telles.
Quand les disciplines teintent la créativité
Chaque formateur interrogé apporte une nuance propre à sa discipline :
- En maths, la créativité est vue comme un antidote à l’application mécanique des théorèmes.
- En éducation physique, elle se manifeste dans la réactivité, la gestion du corps et de l’espace.
- En français, elle prend la forme d’un acte créateur profond, presque littéraire.
Ces variations montrent que la créativité transcende les disciplines tout en prenant leur couleur.
Former à la créativité, oui… mais comment ?
Deux modalités pédagogiques ressortent de l’analyse :
Dans un premier temps, le formateur peut adopter une posture de “modèle” : il montre, il agit, parfois sans verbaliser pleinement ses choix pédagogiques.
Dans un second temps, il évolue vers un rôle de facilitateur, accompagnant progressivement les apprenants vers une autonomie réflexive, les amenant à inventer leurs propres façons de faire, adaptées à leur contexte et à leur identité professionnelle.
Mais pour que la créativité devienne un vrai objet de formation, il faut la nommer, la théoriser, la didactiser.
Conclusion : des Jourdains de la créativité ?
Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, les formateurs interrogés forment à la créativité sans s’en rendre compte. C’est à la fois inspirant… et révélateur d’un manque. Si cette compétence est jugée essentielle dans l’enseignement, alors elle mérite une vraie place dans les curricula de formation.
Alors, pourquoi ne pas imaginer un module de formation transversal, interdisciplinaire, où l’on apprend à oser, à expérimenter, à composer avec l’incertain ? Car après tout, former, n’est-ce pas déjà un acte créatif ?